André Pflimlin : une nouvelle grave crise laitière se prépare en Europe

Publié le par Michel Sorin

La suppression des quotas laitiers en 2015 libère les hausses de production

 

André Pflimlin* était invité à intervenir lors de l’assemblée générale de la Confédération paysanne du Finistère le 11 septembre 2014. Or, ce même jour, les chambres d’agriculture de Bretagne et les entreprises laitières étaient réunies à Rennes afin de se mettre d’accord sur le plan laitier breton, visant à produire un milliard de litres de lait de plus d’ici 2020.

Quel contraste entre la tonalité régulatrice de son intervention et le libéralisme échevelé qui s’est emparé des producteurs bretons ! Au moment où se déroule le Space (salon de l’élevage) à Rennes, du 16 au 19 septembre, il importe de relever l’irresponsabilité des acteurs économiques, qui ne voient pas que la libéralisation de la production laitière en Europe risque de provoquer une baisse des prix qui sera fatale à de nombreux producteurs et provoquera une crise comparable à celle de 2009.

Rappel (29 juillet 2014) : Quotas laitiers supprimés en 2015 : l'inquiétude des producteurs de lait

Voici le texte, daté du 16 septembre 2014, que m’a transmis André Pflimlin.

Alerte rouge sur l’Europe laitière ?

 

Depuis un an, la filière laitière est sur son petit nuage

Tout va bien : le prix du lait, la demande mondiale, la météo avec des fourrages et des céréales en abondance, donc une collecte qui a fortement augmenté et qui nous permettra de faire le plein de notre quota national, juste avant sa disparition en avril prochain. Il serait temps que les prophètes de malheur reconnaissent enfin qu’ils ont eu tort d’annoncer cette sortie des quotas comme une catastrophe nationale, européenne, voire mondiale ! Apparemment, tout va bien : le prix du lait devrait rester élevé pour rattraper l’écart avec le prix allemand, la croissance de la collecte s’est prolongée l’été, la France est bien verte, les maïs sont beaux et le prix des céréales est en baisse du fait d’une très bonne récolte mondiale. Donc, toutes les conditions semblent réunies pour produire plus, ici en France, chez nos voisins européens, voire au-delà !

Mais en levant la tête, on voit arriver de gros nuages, porteurs d’un autre message.

Depuis janvier 2014, la collecte a progressé de 6% en France, mais aussi de 5% pour l’ensemble de l’UE ; soit 3.5 Mt en plus pour le 1er semestre. Comme personne ne parle d’excédents et de baisse du prix du lait, les éleveurs disposant de fourrages en abondance, vont continuer à produire beaucoup.

Ils ont d’ailleurs gardé plus de vaches et de génisses en vue de la fin des quotas. Alors « si on peut produire plus tout de suite et dans de bonnes conditions, pourquoi s’en priver, ce d’autant qu’il n’y aura pas de pénalités (?), car la France est en sous réalisation depuis 2009 » ! Cela vaut aussi pour d’autres pays de l’UE dont le RU qui voit sa collecte décoller de plus de 10%, la Pologne et les pays Baltes de 7,5 à 12,5%. Il n’est donc pas stupide de penser que la collecte laitière de l’UE 2014 pourrait être supérieure à 2013, de 5 à 7 Mt que nous transformerons essentiellement en poudre et autres ingrédients pour le marché mondial.

Un marché mondial limité, avec 3 exportateurs principaux : l’UE, La NZ et les USA.

- En Nouvelle-Zélande aussi, le prix du lait a été particulièrement élevé depuis un an (400€ /t depuis Janvier) et la collecte a cru de 10% environ, soit + 2 M t pour le marché mondial. La nouvelle campagne laitière vient juste de démarrer, avec de bonnes conditions météo, un effectif de vaches record et une excellente trésorerie permettant d’acheter ou non du concentré selon la profitabilité à court terme.

Même si le prix du lait descendait à 200 € /t, ces éleveurs résisteraient sans peine. Or le prix de base annoncé par Fonterra pour 2014-15 serait de 260 €/t, (6 dollars NZ / KG MU, contre 8.5 en Janv-Avril 2014, soit une baisse de près de 30%.).

- Aux USA, le prix du lait a aussi dépassé les 400 € /t et devrait se maintenir à un niveau élevé les prochains mois. Le prix de l’aliment étant en baisse et les effectifs de vaches en hausse, la main-d’oeuvre mexicaine, toujours aussi bon marché, la production est en hausse, de l’ordre de 2%, et devrait se renforcer d’ici la fin de l’année. Le nouveau dispositif de garantie de marge sur coût alimentaire (Far Bill 2014-2018) se met en place dès septembre et sera pleinement opérationnel dès 2015. Il est ouvert à tous les producteurs, quelle que soit la taille du troupeau. C’est un sacré filet de sécurité, surtout pour les très gros troupeaux hors sol… D’où un surplus pour le marché mondial de 2M t en 2014 et davantage en 2015…

Le volume de ce marché mondial étant de l’ordre de 55 à 60 Mt éqv. Lait, le surplus de lait de ces trois (UE, USA, NZ) sera de l’ordre de 10 Mt sur un an, soit + 17-18% en regard d’une demande en produits laitiers assez rigide (+ 1 -1.5 % au niveau mondial). Le marché mondial était tiré par les achats chinoismais ces derniers semblent avoir fait le plein de stocks et leurs achats se sont ralentis. Et la conjoncture internationale n’est pas très porteuse, pour ne pas dire déprimée... même si les fondamentaux restent bons à plus long terme. Mais c’est surtout l’embargo russe sur les produits laitiers UE qui pèse lourd immédiatement sur nos exportations, donc sur nos surplus de fromages, ingrédients et poudres … L’ensemble de nos exportations UE représente 1.5% de la production UE (moins de 1% pour la France mais plus de 20% pour les Pays Baltes et la Finlande).

En clair, pour l’UE, il faut rajouter ces 1.5% aux 5% de surplus de production à exporter.

La Commission semble surtout s’inquiéter de l’embargo russe et laisse filer notre surproduction.

Elle a tout fait pour décrédibiliser le projet Dantin d’une régulation volontaire indemnisée, soutenue par l’EMB et même par la FNPL, en affirmant qu’elle disposait désormais des outils suffisants pour gérer les crises via l’intervention, bien mieux qu’en 2009 ! (réponse d’un chef de la DG Agri en avril 2013 à René Souchon rapporteur de l’avis du Comité des Régions sur les risques liés à la fin des quotas laitiers). Certes, Dacian Ciolos a toujours été nettement plus attentif (que la DG AGRI) et plus soucieux des risques de dérapage de la production laitière et des prix. Il l’a encore dit lors de la conférence laitière du 24 septembre 2013 à Bruxelles mais il ne peut pas remettre en cause la stratégie libérale de la Commission validée par le Conseil et par le Parlement européen. Il a cependant mis en place un observatoire du marché laitier accessible à tous et actualisé chaque semaine, permettant de bien suivre la montée de la vague laitière.

Cette Commission va changer : le Roumain Dacian Ciolos sera remplacé par l’Irlandais Phil Hogan sauf avis défavorable du PE. JC Junker a adressé une lettre de mission à tous ses commissaires fixant les priorités, notamment pour la mise en oeuvre de la PAC 2014-20. Rien ne permet d’espérer un infléchissement de la stratégie libérale de la Commission : sûrement pas Junker et sa nouvelle Commission. Sûrement pas Phil Hogan, un Irlandais, missionné par un petit pays qui rêve de produire 50% de lait en plus. Un pays qui s’est mis en ordre de marche pour y arriver en mobilisant tous les acteurs et notamment les coopératives, la R&D et les PP. L’Irlande a les coûts de production les plus bas de l’UE (150€ / t hors main d’oeuvre familiale) et elle peut produire beaucoup plus de lait à l’herbe en réduisant le troupeau allaitant bovin et ovin. La plupart de ses producteurs peuvent survivre avec un prix d’intervention UE de 215 € / t. Mais pas nos éleveurs en France, ni dans la plupart des pays de l’UE… Alors tant pis pour nous et les autres ?

La Bretagne veut suivre l’exemple irlandais, en copiant les Danois. Le 11 septembre dernier, tous les acteurs de la filière laitière bretonne étaient réunis à Rennes pour lancer le plan de croissance laitière 2015- 2020, pour l’après quotas permettant enfin « de libérer toutes les énergies » de cette région.

Les chambres d’agriculture ont examiné différents scénarios de développement de la filière et les responsables professionnels veulent privilégier celui qui conduit à produire un milliard de litres de lait en plus d’ici 2020 (soit 15 -20% de lait en plus avec moitié moins de producteurs. Les groupes laitiers Sodiaal et Laïta avaient déjà affiché des projets de croissance équivalents. Au niveau de l’offre et de la transformation, cela semble jouable, donc le mot d’ordre est clair : « la Bretagne doit foncer pour ne pas se faire doubler par d’autres régions ou pays ». Mais pour quels marchés, avec quels produits ? La course aux volumes et aux produits industriels est repartie comme en 1970…mais désormais sans filet de sécurité. Après le poulet et le porc, les éleveurs laitiers bretons paieront cher à leur tour… mais en appelleront encore à la solidarité nationale et européenne. Alors qu’ils auront fait le vide dans beaucoup d’autres régions, juste en voulant produire plus, sans regarder au-delà de leur bonnet rouge!

Mais la prochaine crise laitière pourrait bien vite calmer ces ardeurs ici et aussi faire beaucoup de dégâts partout ailleurs, en France et en Europe ! Et depuis 2009, elle n’a jamais été aussi proche.

* Rappel : les informations concernant l’Europe laitière (André Pflimlin) :

Dans son livre, Europe laitière, André Pflimlin condamne le libéralisme (6 mars 2012)

Lors de l'AG 2013 de l'APLI, André Pflimlin a parlé de l’Europe laitière (14 sept. 2013)

Traité de libre-échange transatlantique : André Pflimlin met en garde l’UE (6 juillet 2014)

Cet article est le 171ème paru sur le blog CiViQ et le 26ème dans la catégorie Agriculture Alimentation

André Pflimlin, lors de l'AG de la Confédération paysanne à Laval (Mayenne), le 15 janvier 2013

André Pflimlin, lors de l'AG de la Confédération paysanne à Laval (Mayenne), le 15 janvier 2013

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