Les coopératives agricoles dans la spirale négative de la guerre des prix
L’inquiétude gagne les dirigeants des coopératives agricoles françaises. Ils n’ignorent pas la fragilité de ce système économique (rentabilité faible, inadaptation au modèle capitaliste dominant). Le président de Coop de France, Philippe Mangin, n’a pas caché ses préoccupations.
Voir L’avenir agricole, 12 septembre 2014, Champ libre : « Si rien n’est fait, on se dirige vers une catastrophe en porc et en volaille. Les coopératives déplorent une situation dégradée dans toute l’industrie agroalimentaire. Politique économique et entreprises, situation des marchés, embargo russe et relations avec la grande distribution, le constat dressé par Philippe Mangin est accablant. Pour la première fois, la production agroalimentaire recule en volume, à - 2,2 % au premier semestre ».
Voir aussi cet article de Keren Lentschner (Le Figaro) paru le 3 septembre 2014 sous le titre : Recul historique de la production agroalimentaire en France
La dureté des rapports économiques était pressentie dans le constat de Jean-Louis Porry concernant l’évolution de l’agriculture. Rappel : Jean-Louis Porry : l'agriculture française sous l'emprise du libéralisme
En effet, en plus de l'évolution tendancielle déjà décrite, le secteur agricole est confronté à une volatilité croissante des prix, liée à la mise en relation sans précaution du marché européen et du marché mondial (…).
Les dispositions arrêtées pour 2014 – 2020 ne peuvent qu'accentuer ces difficultés en réduisant le montant des aides et en rendant plus difficile leur obtention, tout en achevant l'élimination des dernières mesures de régulation des marchés et en poursuivant l'ouverture aux produits extérieurs grâce à des accords bilatéraux en particulier l'accord transatlantique. La diminution inévitable du revenu des agriculteurs se traduira par une réduction supplémentaire de leur nombre et par une nouvelle diminution de l'auto-approvisionnement alimentaire de l'Europe.
Le rapprochement de la CAM et de Terrena* trouve sa justification dans le fait que, malgré une gestion saine et rigoureuse, la Coopérative des Agriculteurs de la Mayenne n’aura pas les reins assez solides « au moment où l’économie agricole de l’Ouest de la France s’interroge ».
* Rappel : La Coopérative des Agriculteurs de la Mayenne se tourne vers Terrena
Comment interpréter la décision inattendue de la CAM de rejoindre Terrena, premier groupe coopératif en agriculture ? Serait-elle lasse de combattre pour préserver son indépendance dans un monde économique de concurrence effrénée et de dégradation catastrophique de la situation de l’agriculture française, notamment dans les filières porcine et avicole ?
Pour qui connaît l’histoire de cette coopérative (elle m’a employé de 1972 à 2004), il est clair qu’elle a pris cette décision sous la contrainte des perspectives économiques. C’était déjà le « contexte difficile » qui avait conduit le président du Conseil d’administration, Michel Foucher, et le directeur, Hervé Scoarnec, à opérer un « choix stratégique » en novembre 2006 (voir L’avenir agricole, 24-30 novembre 2006). C’était alors une union entre la CAM et Coopagri Bretagne (Landerneau, Finistère) pour les achats d’agrofournitures et la commercialisation des céréales. En 2007, cette alliance baptisée « Caliance » s’était ouverte à Végam, filiale de Coralis, coopérative laitière de Rennes, et à la CAM 56 (Coopérative des agriculteurs du Morbihan). Voir L’avenir agricole, 14 avril 2007, qui titrait « La Cam n’avancera plus jamais seule ».
Et, pourtant, répondant aux questions de Xavier Bonnardel (Ouest-France, 25 mai 2011), le directeur général de la Cam, Hervé Scoarnec, faisait preuve d’optimisme. La Cam était en bonne santé et investissait. Il n’était pas question de rapprochement avec d’autres coopératives. « Nous restons une coopérative indépendante. Nos adhérents y tiennent. Nos principaux partenariats sont en ordre de marche : dans les agrofournitures au sein de la centrale d’achat Caliance, dans la distribution verte sous l’enseigne Gamm Vert ».
En 2011, la forte hausse du chiffre d’affaires était confirmée dans les résultats présentés à l’Assemblée générale des adhérents le 1er juin 2012. Voir Ouest-France, 2-3 juin 2012, Jean-François Vallée. L’objectif était rappelé par Hervé Scoarnec. « Nous n’avons pas vocation à faire du profit. Nous n’avons pas d’actionnaires qui se mettent de l’argent plein les poches. Nous sommes au service des agriculteurs qui sont nos actionnaires. Nous voulons rester indépendants et à taille humaine. C’est-à-dire présents en Mayenne et dans les territoires limitrophes ». 500 salariés, 50 magasins. La perspective de déménager le siège historique de la rue Magenta à Laval (près de la gare SNCF) sur un terrain de la Technopole Laval-Changé, acheté par la Cam, est affirmée, mais sans urgence.
La décision de rejoindre Terrena n’a pu être prise que sous la pression de la conjoncture économique. Pourquoi Terrena ? La coopération avec Coopagri Bretagne avait, semble-t-il, du plomb dans l’aile. Et la philosophie de la CAM a toujours été proche de celle de la coopérative d’Ancenis, aujourd’hui Terrena. Le projet d’agriculture écologiquement intensive, porté par Terrena, s’inscrit dans les perspectives gouvernementales actuelles (la loi d’avenir de l’agriculture) et est compatible avec les orientations de la CAM. Ce rapprochement est, donc, tout à fait logique, même s’il est imposé par la conjoncture économique.
Cet article est le 169ème paru sur le blog CiViQ et le 24ème dans la catégorie Agriculture Alimentation