La crise de l'économie française, conjoncturelle et structurelle (J Sapir)
Réseau CiViQ considère que la priorité nationale est le redressement de l’économie. C’est la raison pour laquelle le nouveau cycle de Rencontres CiViQ à Saint-Berthevin commencera par la réflexion sur la mutation du capitalisme et les raisons de la récession économique. Voir Rencontre CiViQ à Saint-Berthevin le 1er décembre avec David Cayla
Nous alimenterons, dès à présent, cette réflexion en prenant connaissance des travaux de Jacques Sapir concernant L'économie française en 2014. Voici des extraits de la PREMIERE PARTIE : « L’économie française en 2014 : crise conjoncturelle et crise structurelle », publiée sur le site des « Econoclastes ».
(…) Il faut, de plus, ici rappeler un fait : avec un PIB qui stagne en termes réels, et à structure de répartition constante, un pays dont la population s’accroît régulièrement, comme c’est le cas de la France, voit le PIB par habitant diminuer mécaniquement.
(…) La croissance du PIB a été durablement cassée par la crise financière de 2007-2008. Alors que le taux de croissance de la France était l’un des plus importants de la zone Euro de 2000 à 2007, on assiste à une stagnation depuis. Cette tendance n’est certes pas unique au sein de la zone Euro. La comparaison des productions industrielles montre cependant que la France se situe sous la moyenne de la Zone, et accumule un retard important par rapport à l’Allemagne. Si ce dernier pays a retrouvé son niveau d’avant la crise il n’en va pas de même pour la France. La situation, qui est incontestablement sérieuse, apparaît encore plus dramatique si on regarde l’évolution de la richesse par habitant. On constate alors que la France s’appauvrit depuis la crise de 2007-2008. C’est une situation sans précédent depuis 1945. Le caractère nouveau de cette situation, car la richesse par habitant était croissante depuis la fin de la seconde guerre mondiale, explique aussi le désarroi de la population et du gouvernement.
(…) Dans cette situation, il n’est donc pas étonnant que l’investissement soit en panne. Ceci a suscité un débat entre « politique de l’offre » et « politique de la demande », qui a rebondi à la suite des déclarations de François Hollande lors de sa conférence du 14 janvier 2014. En fait, le débat implique, pour être tranché, que l’on s’intéresse à la question de l’investissement. L’hypothèse implicite de la « politique de l’offre » est que si l’on accroît la masse des profits à l’instant (t) (ou le taux de marge), cela poussera les entreprises à investir, augmentera la croissance, et créera des emplois. On retrouve le soi-disant « théorème » d’Helmut Schmitt « les profits d’aujourd’hui font les investissements de demain et les emplois d’après-demain ».
Cela suppose, implicitement, que l’investissement soit uniquement contraint par les capacités financières. Cela ne dit rien sur ce qui conduit un entrepreneur à investir, autrement dit le niveau anticipé de la demande à (t+1). Mais, un entrepreneur investit en fonction de l’espérance de profit qu’il a sur cette opération. La notion d’espérance ne doit pas induire en erreur. Si, dans certains cas, elle peut s’apparenter à l’espérance mathématique, dans la majorité des cas elle relèvera bien plus du sentiment psychologique de l’entrepreneur, de sa représentation de ce que le futur pourrait être, mais ne sera pas forcément. Or, les entrepreneurs sont confrontés à deux phénomènes : d’une part, la baisse de la consommation des ménages, que nous avons évoquée, et d’autre part la chute de la production industrielle, à l’exception des industries agricoles et alimentaires. Ceci induit une moindre volonté d’investir, à contraintes financières inchangées. L’investissement apparaît aujourd’hui essentiellement contraint par la faiblesse de la demande. Il en résulte une baisse absolue de l’investissement ces dernières années.
On constate en effet que l’investissement, qui avait tendu à s’accroître fortement de 2003 à 2007, n’a pas, lui non plus, récupéré du choc de la crise financière. Le rétablissement partiel de 2011 s’explique largement par les investissements publics décidés en réaction à la situation créée par la crise. Cet effort particulier d’investissements publics fut cassé par le retournement de politique économique imposé par M. François Fillon, alors premier ministre, en 2011.
L’investissement privé n’a pas pu prendre le relais. Ainsi, en 2013, le montant global de l’investissement est à peine supérieur à 350 milliards d’euros (aux prix de 1995) alors qu’il avait atteint 395 milliards en 2007, soit une baisse de -11,4%. Les conséquences sont considérables, tant à court qu’à moyen terme. A court terme, la croissance n’est tirée ni par la consommation intérieure, ni par l’investissement. Comment s’étonner alors qu’elle soit atone ? Mais, à long terme, la baisse de l’investissement implique une baisse de la compétitivité générale des entreprises industrielles, à taux de change constant. Or, du fait de l’Euro, la seule stratégie possible pour la France, du moins si elle entend ne pas toucher à ce cadre contraignant, repose sur des gains de compétitivité supérieurs à ses partenaires obtenus par un effort proportionnellement plus important d’investissement.
On comprend mieux pourquoi l’économie française dépérit. Notre Président a d’ailleurs dû l’admettre : sa promesse « d’inverser la courbe du chômage » n’a pas été tenue et les perspectives annoncées lors de l’élection présidentielle de 2012 se sont effondrées. Il est par ailleurs évident que l’adoption de taux réduit pour la CSG et l’accroissement du nombre des emplois aidés sont deux mesures parfaitement inadaptées à la gravité de la situation. Elles ne peuvent être que des palliatifs à l’efficacité limitée.
Il faut comprendre qu’il ne peut y avoir de « politique de l’offre » stricto sensu que si on inclut dans cette politique un nécessaire effort d’investissement. Mais, pour cela, il faut reconstruire et la demande (pour assurer le besoin d’investir) et la trésorerie des entreprises (pour assurer la capacité à investir), car faire l’un sans l’autre aboutit, et aboutira, à l’échec.
La situation économique connaît depuis ces dernières semaines une dramatisation qui ne laisse que très peu de marges de manœuvres aux différents acteurs. Voilà donc qui crée, bien entendu, un climat délétère. La perte de crédibilité de nos gouvernants n’est que le prélude à leur perte de légitimité.
Cet article est le 205ème paru sur le blog CiViQ et le 16ème, catégorie Economie Emploi
