Pascal Massol : les leçons de la grève du lait 2009 n'ont pas été tirées

Publié le par Michel Sorin

 

Le fondateur de l'APLi met en cause tous les acteurs de la filière laitière

 

Le site Web-agri (Terre-net Média) était déjà le premier à parler des actions conduites dans le Sud-Ouest par des producteurs de lait. Voir (5 février 2016) : C'est terrible d'avoir eu raison six ans trop tôt. « Rappelez-vous quand tout a commencé, fin 2008, avec le début de la grève du lait et la création de l'Apli...

• Prix du lait : des éleveurs de l'Aveyron et du Tarn ont entamé une grève du lait (11/11/2008)
• Crise du lait : une association des producteurs de lait indépendants est en cours de constitution (23/11/2008) ».

Il récidive avec cette tribune en exclusivité de Pascal Massol*, éleveur laitier en Aveyron, fondateur et premier président de l'Association des producteurs de lait indépendants (Apli).

 

Six ans après avoir initié la grève du lait de 2009, et quatre ans après avoir claqué la porte de l'Apli, Pascal Massol sort du silence et réagit à la crise que traversent les agriculteurs, et plus particulièrement les producteurs laitiers. Le fondateur et ancien président de l'association des producteurs de lait indépendants tire à boulets rouges sur tous les acteurs de la filière laitière, des instances européennes jusqu'aux éleveurs eux-mêmes.

« C’est difficile de voir une situation que nous avions déjà annoncée en 2009. C’est terrible d’avoir eu raison six ans trop tôt. Ça l’est d’autant plus qu’aucun responsable professionnel n’en a tiré de leçon.

C’est en septembre 2009, à partir de la grève du lait que nous avions organisée avec l’Apli, qu’il fallait agir pour changer notre système laitier. Je ne comprends toujours pas pourquoi nous n’avons pas réussi à faire comprendre aux éleveurs que, sans quotas laitiers, ce serait la catastrophe. Le système libéral ne fonctionnait déjà pas en 1983, avant l’instauration des quotas. Comment pourrait-il fonctionner aujourd’hui ?

Il y a beaucoup d’intelligence dans les fermes. Mais elle est complètement étouffée. Les éleveurs font de très bonnes choses dans leurs exploitations. Mais en l’absence d’intelligence collective, la plupart des producteurs se retrouvent dans un système laitier et agricole à l’agonie. Les deux tiers des producteurs déclaraient récemment sur web-agri.fr qu’ils n’avaient plus de marges de manœuvre d’un point de vue économique. C’est complètement fou. Ils auraient dû revoir leur propre système de production quand ils en avaient encore la possibilité, notamment en matière d’autonomie fourragère. Les éleveurs aujourd’hui en difficulté ont des coûts de production bien trop élevés, car ils nourrissent les vendeurs de soja, de semences, de produits phytos, etc…  Ces derniers, privés ou coopératifs, n’ont aucun intérêt à ce que les producteurs soient plus autonomes.

Nos dirigeants n’ont tiré aucune conclusion de 2009

D’un point de vue technique, on voit de moins en moins de vaches dehors. Ce n’est pas normal : les systèmes respiratoires et cardio-vasculaires d’une vache sont ses premiers facteurs limitants. Or je n’ai jamais vu des sportifs de haut niveau s’entraîner dans un studio. C’est la même chose pour nos vaches. Une crise sert à se remettre en question, trouver des solutions. Il y en a. Le tout n’est pas de savoir comment produire plus ou comment augmenter ses rendements. L’important est d’avoir une bonne marge et de trouver le moyen d'y parvenir.

La plupart des producteurs qui avaient fait la grève du lait en 2009 ont pris conscience qu’ils devaient revoir leur façon de produire. Ils se sont remis en question et ont adapté leur exploitation pour retrouver davantage d’autonomie, en s’engageant dans l’agro-écologie, en diversifiant leur activité ou leurs débouchés. C’est une démarche longue et difficile, mais c’est possible.

De la crise laitière de 2009, nos responsables professionnels et dirigeants n’ont tiré aucune leçon. Pourquoi le syndicalisme majoritaire n’a-t-il rien fait ? Parce qu’au sein de ce syndicalisme, il y a des intérêts croisés incompatibles avec la défense des intérêts des éleveurs. Et, j’ose le dire, la FNSEA est le seul syndicat qui a décidé consciemment de diviser son nombre d’adhérents par quatre. Ceux qui se sont moqué de notre mobilisation et de nos alertes en 2009 sont ceux qui pleurent aujourd’hui.

Face aux difficultés que vivent bon nombre de mes collègues, tout le monde a sa part de responsabilité.

Tous les organismes agricoles ont aussi leur part de responsabilité. Comment se fait-il que les centres de gestion et les banques, notamment, ne proposent pas aux producteurs en difficulté, de s’inscrire dans les procédures collectives judiciaires ? Car proposer de nouveaux emprunts pour rembourser des emprunts n’a jamais été une solution viable.

D’un point de vue macroéconomique, l’agriculture a souvent dix ans de retard. Regardez ce qui reste de l’industrie en France ? Il reste uniquement l’industrie de précision. L’industrie à bas coûts a été délocalisée depuis longtemps. Avec notre modèle économique et social, pouvons-nous être compétitifs sur le marché de la poudre de lait ? Bien sûr que non ! Pourquoi faire des tours de séchage ? Faire croire que la France pourra fournir seule le marché chinois du lait infantile est un mensonge. C’est peut-être possible, mais la France n’est pas toute seule sur le marché. Même vers ce débouché spécifique, il y aura de la casse.

Eleveurs, une crise sert à se remettre en question, à trouver des solutions. Il y en a !

Sur le plan européen, comment, en France ou à Bruxelles, nos soi-disant représentants syndicaux ont-ils pu laisser Bruxelles nommer un commissaire européen à l’agriculture ultra-libéral ? Avant même la fin des quotas laitiers, l’Irlande, le pays d’origine de Phil Hogan, envisageait de doubler sa production laitière ! L’anticipation des crises et, malheureusement, la gestion de la crise actuelle doivent se résoudre à Bruxelles. En commençant d’abord par exiger l’éviction de Phil Hogan qui continue à nier la situation. La nécessaire régulation dans le secteur laitier est une évidence depuis toujours. Ensuite, il faut s’attaquer aux distorsions sociales et fiscales entre pays européens.

Avec l’Apli et la grève du lait en 2009, je me suis battu pour défendre ces idées. Je ne pense pas que ce soit à nouveau possible aujourd’hui. L’Apli était une belle machine qui, en se plaçant au-dessus de tout syndicat, aurait pu devenir l’équivalent de la Criirad (ndlr, association indépendante – et reconnue – d’information sur le nucléaire en France) pour l’agriculture. Mais elle a été détruite de l’intérieur par l’instrumentalisation de syndicats minoritaires.

Pour ma part, j’ai retrouvé du plaisir dans mon travail depuis que j’ai changé mon système de production. Après des difficultés suite à la sécheresse de 2003, mon frère et moi avons repensé notre mode de production. Puis en 2009, nous avons subi, comme beaucoup, de grosses difficultés économiques. A l’époque, nous avons demandé au tribunal à bénéficier d’une procédure de sauvegarde. Après deux périodes probatoires de six mois, nous avons proposé un étalement de nos dettes. En parallèle, nous nous sommes remis en question sur notre façon de faire du lait, en nous concentrant sur l’autonomie fourragère de l’exploitation et l’agronomie. Sur les 80 ha que compte la ferme, nous cultivons désormais une quinzaine d’hectares de méteil et n’achetons que 10 t de maïs grain. L’exploitation a été convertie en bio et nous sommes passés de 23 % à 50 % d’EBE en seulement deux ans. Autant dire que je dors bien mieux qu’il y a 10 ans. »

* Voir (4 février 2010) Le parcours de Pascal Massol (Apli)

Voir aussi (18 janvier 2010) :  Apli 18 janvier Mayenne : débat avec Pascal Massol et les Québécois 

 

Cet article est le 347ème paru sur le blog CiViQ et le 98ème, catégorie Agriculture Alimentation

Article paru le 9 février 2016 sur http://civiq.over-blog.com

Pascal Massol, le 17 septembre 2009, à La Chapelle-Craonnaise en Mayenne, au début de la grève du lait, lors d'une réunion Apli.

Pascal Massol, le 17 septembre 2009, à La Chapelle-Craonnaise en Mayenne, au début de la grève du lait, lors d'une réunion Apli.

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