Jacques Loyat : bilan des quotas laitiers, casse-tête de leur suppression

Publié le par Michel Sorin

 

Vers un nouveau dispositif de maîtrise de la production laitière

 

La Documentation française a publié le 26 octobre 2016, dans sa rubrique P@ges Europe, un article de Jacques Loyat, ingénieur général honoraire du génie rural et des eaux et forêts, intitulé :

 

En voici de larges extraits.

Introduction

La période des trois années ayant précédé la décision de supprimer les quotas laitiers (effective le 1eravril 2015) s’est caractérisée par un boom de la demande extérieure en produits laitiers, en particulier de la part de la Chine. Certains pays producteurs s’étaient alors empressés de dépasser les quotas encore en vigueur. Mais, en août 2014, l’embargo décrété par la Russie sur les importations de produits occidentaux constituées notamment de produits agricoles tarit brutalement un débouché important pour les fromages européens. Dans le même temps, la Chine réduit de façon abrupte ses achats de poudre de lait. S’ajoutent à ce changement de conjoncture, des conditions météorologiques bénéfiques aux troupeaux néo-zélandais, américains et australiens dont les rendements laitiers augmentent. Les niveaux de production décollent alors entraînant une baisse du prix du lait dès l’automne 2014. La hausse de la demande mondiale escomptée par d’aucuns n’est plus au rendez-vous. Mais l’Union européenne (UE) n’en continue pas moins de libéraliser le marché du lait alors que cette tendance baissière des prix se poursuivra en 2015 et 2016.

Une telle évolution interroge sur les mécanismes de régulation d’un secteur qui, après trente années de quotas, se retrouve soumis aux seules lois du marché (...).

 

Deuxième partie

Les quotas laitiers ou comment réguler un marché instable ?

Les quotas laitiers ont été mis en place en 1984 dans le cadre de la PAC dans l’objectif de stabiliser la production de lait en limitant les surplus.

Un secteur structurellement excédentaire

L’Organisation commune de marché qui régit les produits laitiers s’est efforcée, depuis sa création en 1968, d’assurer un équilibre soutenable entre l’offre et la demande.
Jusqu’en 1975, l’incitation au développement de la production s’accompagne de mesures de garanties destinées à assurer des débouchés suffisants via l’achat à l’intervention de beurre et de poudre de lait écrémé. Cette politique a un coût budgétaire. Outre les stocks d’intervention, il existe des aides au stockage privé de beurre et de certains fromages tandis que des subventions sont accordées pour garantir certains débouchés sur le marché intérieur.
L’instauration de quotas en 1984 permet de mieux appréhender le marché en maîtrisant l’offre. La pénalité en cas de dépassement du quota est fixée à un taux tel qu’aucun producteur n’a intérêt à produire davantage que la norme autorisée. En cas de dépassement des quantités de référence qui lui sont allouées, l’exploitant (ou la laiterie) doit payer un prélèvement supplémentaire équivalent à 100 % du prix indicatif du lait.
Parallèlement à la mise en place des quotas laitiers, l’intervention publique des achats de beurre et de poudre de lait écrémé est désormais limitée. Jusqu’alors, l’intervention avait été le mécanisme principal de soutien du marché avec, pour conséquence, l’accumulation de stocks publics qui, fin 1986, s’élevait à 1 300 000 tonnes de beurre et 800 000 tonnes de poudre de lait écrémé à l’échelle européenne. Enfin, le Conseil agricole (qui réunit les ministres de l’Agriculture des États membres) définit un programme de déstockage pour les années 1987 et 1988 portant sur environ 1 million de tonnes de beurre (via un programme d’exportations exceptionnelles notamment vers l’URSS, une utilisation du beurre pour des fins industrielles et pour l’aliment du bétail et des actions en faveur des consommateurs).

La production de lait dans la Communauté avait continué d’augmenter jusqu’à la mise en place des quotas en 1984 en raison essentiellement de l’accroissement du potentiel des cheptels (amélioration génétique combinée à une meilleure utilisation de l’alimentation). Alors que le système des quotas laitiers entre en vigueur, le rendement par vache laitière ne cesse de s’améliorer : de 4 440 kg par tête en 1984 (moyenne de l’UE-12), celui-ci est passé à 5 688 kg en 1999 (moyenne UE-15).
Le respect des quotas, revus plusieurs fois à la baisse depuis leur mise en place, n’a donc été possible que par la réduction du cheptel. Entre 1984 et 1989, celui-ci a été réduit de près de 20 %, soit près de 5 millions de vaches, ou encore l’équivalent de la moitié du cheptel laitier des États-Unis.

Sachant que les trois quarts de la production sont assurés par cinq États membres, la restructuration des élevages a été très forte dans les pays du Sud (Grèce, Espagne, Portugal et Italie) où les quantités produites restent, malgré tout, assez faibles. Ce phénomène de concentration s’est également manifesté dans les pays du Nord, mais de manière moins marquée. À noter le cas particulier du Danemark où la production a augmenté de 8 % en dix ans, pour atteindre une moyenne de 409 000 litres de lait par exploitation.

La fin des quotas...

À compter de 2005, on constate que la quantité de lait livrée se situe en-dessous des quotas fixés avec, en 2013, un écart de l’ordre de  – 5 %. Huit États membres dépassent néanmoins leurs quotas : l’Allemagne, les Pays-Bas, la Pologne, le Danemark, l’Autriche, l’Irlande, Chypre et le Luxembourg.

En décembre 2014, le cheptel européen de vaches laitières (23,6 millions de têtes) était légèrement plus élevé qu’en décembre 2013 (+ 0,4 %). Cette tendance qui s’était déjà observée l’année précédente, est à mettre au compte des pays de l’UE-15, plus particulièrement de ceux de l’Europe du Nord. Une enquête réalisée en mai 2015 confirme ce phénomène de capitalisation qui s’explique par la nette croissance du cheptel de femelles reproductrices en Irlande, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas.
Dans le même temps, on observe un repli dans d’autres grands pays laitiers (Allemagne, France, Pologne) où, jusque-là, la tendance était le plus souvent à la hausse : Allemagne, France, Pologne. Ces évolutions divergentes témoignent de stratégies nationales différentes en matière de production de lait dans un contexte mondial de plus en plus difficile.

...s’accompagne d’une hausse de la collecte dans l’Europe du Nord

Le 1er avril 2015 commence au niveau européen une nouvelle campagne dépourvue de toute contrainte de production. Malgré une situation déjà difficile sur le marché mondial des produits laitiers (offre trop abondante/demande des principaux importateurs en recul), certains États membres, à commencer par ceux d’Europe du Nord, choisissent, dès le mois d’avril, de produire toujours plus, les opérateurs acceptant de collecter l’ensemble du lait produit par les éleveurs laitiers.
L’Irlande, qui ne cache pas son ambition d’augmenter sa production sur le long terme, enregistre une hausse de 15,9 % sur les huit premiers mois de la campagne 2015-2016. La croissance est également prononcée aux Pays-Bas (+9,1 % sur huit mois), en Belgique (+ 10,2 %), au Danemark (+ 4,1 %), ainsi que, dans de moindres proportions, au Royaume-Uni (+ 3,1 %). Pour leur part, les deux principaux pays producteurs européens s’efforcent de maîtriser leurs niveaux de collecte : sur les huit premiers mois de la campagne, l’Allemagne stabilise le sien (- 0,1 %) tandis que la France n’enregistre qu’une très légère croissance de l’ordre de 1 % compte tenu notamment de la limitation des quantités de lait fixées dans les contrats liant les producteurs aux laiteries.

...engendre une baisse du prix du lait

Ces différents choix de production se sont faits dans un contexte de baisse généralisée du prix du lait payé au producteur qui n’a pourtant pas été toujours dissuasive.
Ce recul du prix du lait qui avait débuté au cours de l’année 2014, s’est poursuivi tout ou partie de l’année 2015, selon les pays. Il reste que les prix pratiqués ont été nettement inférieurs à ceux de l’année précédente, comme d’ailleurs dans d’autres pays producteurs comme la Nouvelle-Zélande. Par contre, élément positif, les coûts de production, en particulier les achats d’aliments pour bétail et les dépenses d’énergie, ont été globalement stables, inférieurs aux niveaux de 2014.

...et pourrait provoquer une nouvelle concentration de la production laitière

Compte tenu de la complexité de la filière laitière et de la difficulté d’ajuster l’offre à la demande en particulier entre exploitants agricoles et  industriels, une contractualisation entre producteurs et transformateurs a été mise en place en 2015 grâce, dans le cas de la France, à la création des organisations de producteurs.

Aujourd’hui, une question se pose : le contrat liant un producteur à un transformateur a-t-il une valeur marchande ? Jusqu’alors, la cession de quota(s) laitier(s) à titre onéreux était interdite : un producteur n’était pas propriétaire de l’autorisation administrative du droit à produire et ne pouvait donc pas le revendre. Aujourd’hui, la cession d’un contrat laitier à titre onéreux est juridiquement possible. Une fois la cession négociée et l’accord de l’entreprise obtenu par écrit, elle doit être rédigée par un notaire, puis notifiée à l’entreprise.

Quelles conséquences cette contractualisation peut-elle avoir sur la concentration de la filière et sur le maintien du nombre, au demeurant portant, de fermes laitières sur l’ensemble du territoire européen ?

S’il fallait conclure,

La complexité de la filière laitière, filière vivante par excellence, explique pour beaucoup l’impossibilité d’une régulation automatique par le seul marché. On a vu que le secteur, structurellement excédentaire, a finalement été régulé par des quotas mis en place en 1984. Leur suppression, en 2015, a entraîné des conséquences très importantes en termes d’équilibre de marchés et de répartition de la production sans compter celles, parfois dramatiques, sur le revenu des exploitants agricoles.
 

L’alternative pourrait être :

  • soit d’opérer une restructuration visant à gagner en compétitivité et à mieux prendre en compte les besoins du marché mondial ;

  • soit d’assurer une production maîtrisée avec des mécanismes de régulation des prix et de répartition des élevages sur tout le territoire (national et européen).

Cette seconde hypothèse pourrait l’emporter pour des raisons à la fois économiques, sociales et environnementales. Elle impliquerait à la fois l’instauration d’un système de contingentement et un prix du lait sécurisé qui prenne en compte les coûts de production et la qualité des produits identifiés, pour leur part, selon des cahiers des charges définis par les pouvoirs publics et reconnus par les producteurs comme par les consommateurs.

 

Cet article est le 365ème paru sur le blog CiViQ - le 112ème catégorie Agriculture Alimentation

"Je suis éleveur, je meurs" au Salon de l'agriculture, 1er mars 2016

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