André Pflimlin : une nouvelle crise laitière en perspective en 2018 (2)

Publié le par Michel Sorin

 

A court terme, les conditions d’une crise imminente sont réunies

 

Dans un argumentaire solidement charpenté qu’il a diffusé hier, 22 janvier, André PFLIMLIN pose la question des énormes stocks de poudre de lait, qui alimentent à la baisse le prix du lait payé aux éleveurs et conduisent tout droit à une grave crise laitière en 2018.

Voir cet article concernant la crise précédente (CiViQ, 7 août 2015) : André Pflimlin et la guerre laitière

Après la première partie (voir Une nouvelle crise laitière en perspective en 2018 selon André Pflimlin), voici la deuxième partie de ce texte (les points 3 et 4) - les renvois seront dans le dernier article.

3. A court terme, toutes les conditions sont réunies pour une crise imminente

- Les prévisions de croissance de la production de la DG Agri (Commission européenne) ont été sous-estimées pour 2017 et 2018. Ayant été publiée sur la base des livraisons jusqu’en août ou septembre (8), la collecte UE 2017 était annoncée avec une hausse de 0.7% sur celle de 2016. Or, avec la forte reprise de la production au dernier trimestre dans toute l’Europe (+ 4,5%), la hausse annuelle devrait être de l’ordre de 1.4% pour l’UE (9), soit plus d’un million de tonnes de lait de plus que prévu !

- La production pour 2018 s’annonce forte pour les principaux exportateurs

. Pour les USA, la croissance sera sans doute de l’ordre de 1.6% comme ces dernières années, soit 1.6 Mt de plus par an dont un tiers pour l’export, le marché domestique restant assez dynamique pour absorber les 2/3 restant. Cependant il y a déjà 150 000 tonnes de poudre maigre en stock. Et le troupeau laitier continue de croître lentement en nombre total de vaches et par ferme. Les troupeaux de quelques milliers de vaches se multiplient dans le Corn-Belt avec de nouveaux migrants hollandais ou des feedlots californiens qui déménagent pour se relocaliser et se développer dans un environnement plus favorable. Tous ces producteurs disposent de céréales ou de concentrés peu chers et d’un bon filet de sécurité avec la garantie de marge sur coût alimentaire (6)

  1. . Pour la Nouvelle-Zélande, les informations semblent contradictoires. Sa croissance laitière à moyen terme sera sûrement freinée par les contraintes environnementales. Mais, dans l’immédiat, comme le prix du lait a été élevé depuis l’automne 2016, les trésoreries sont renflouées, les concentrés sont peu chers, la collecte 2017-2018 s’annonçait en hausse. Mais, suite à un coup de sec estival, les prévisions ont été revues en baisse. Ainsi, en année favorable au pâturage, la NZ peut produire facilement 0.5 Mt de lait de plus pour l’export sous forme de poudre et beurre. La situation semble également assez favorable en Australie où la production est repartie à la hausse (+2,5%) après plusieurs années difficiles. C’est un exportateur plus modeste que son voisin NZ mais qui intéresse beaucoup les investisseurs chinois pour la production et la transformation sur place pour le marché chinois.(10)

     

    La croissance est repartie en Europe avec une collecte du dernier trimestre 2017 en forte hausse (+ 4,5% par rapport aux mêmes mois de 2016, certes faibles) et devrait dépasser l’année record 2015. Cette croissance semble relancée un peu partout mais avec des perspectives différentes entre pays.

    L’Irlande a produit près de 8% de lait en plus en 2017, avec un prix du lait qui a dépassé les 400€ /t sur le dernier trimestre. Elle va continuer à produire plus d’ici 2020 même si le prix tombe sous les 300€ /t. En effet, les éleveurs, avec du lait à l’herbe peu coûteux, ont fait un revenu de 50 000 € par ferme en 2016 (11) malgré un prix du lait à 280€ /t et comptent sur un revenu de 80 000€ en 2017 (12) avec un prix moyen du lait à 365€ (13). Ce modèle ultra spécialisé et très dépendant du marché mondial (14) a bien résisté à la crise mais reste fragile dans la durée et sera aussi limité par les règles environnementales de l’UE.

    La Pologne devrait aussi continuer sur sa lancée de croissance  en 2018 après une bonne année 2017 avec 5% de lait en plus et un prix moyen du lait à 325€ /t.(13)

    Par contre, les Pays-Bas nous ont menés en bateau en 2017 ! Ils devaient abattre beaucoup de vaches et produire 5% de lait en moins (pour respecter le seuil phosphore inclus dans la dérogation pour la directive Nitrates). En fait ils ont produit autant de lait qu’en 2016. Pour 2018, malgré la menace européenne de non renouvellement de la dérogation et malgré les annonces de Friesland Campina de non paiement des surplus par rapport à ses capacités de transformation (ce qui parait surprenant pour une Coop ?) personne n’ose plus faire de prévision ! Avec la mise en place de nouveaux «quotas phosphore», avec un marché à des prix exorbitants, les ruses pour contourner la réglementation bruxelloise semblent encore nombreuses !

    En France et en Allemagne, qui font 36% de la production de l’UE, les éleveurs ont retrouvé un revenu plus décent en 2017 après 2 années très difficiles. Disposant de stocks de fourrages de qualité, ils vont sans doute continuer sur la lancée de l’automne 2017, du moins pendant le 1er semestre 2018, surtout si le printemps est favorable. En France, les discussions entre les acteurs de la filière laitière semblent s’engager dans un climat de plus grande écoute, suite aux Etats Généraux de l’Alimentation (15) et la crise Lactalis . Tout le monde voudrait faire plus de valeur ajoutée et de qualité mais ,à court terme, les laiteries feront d’abord plus de poudre, ce qui va précipiter la chute des cours.

     

    4. Les sur-stocks de poudre de lait plombent le prix payé aux éleveurs européens.

    En effet, le prix du lait à la ferme suit assez bien le prix de la valorisation beurre-poudre, surtout dans les pays gros producteurs de poudre tels l’Irlande ou l’Allemagne du Nord. Comme le beurre a presque retrouvé son niveau de prix normal, c’est à nouveau la baisse du prix de la poudre qui va peser sur le prix du lait. Pendant la crise 2015 -2016, le prix de la poudre avait été soutenu par les achats à l’intervention fixés à 1700 €/t. La crise s’étant prolongée, de grandes quantités de poudre maigre furent stockées. Les stocks publics ont grimpé à 350 000 tonnes fin 2016 puis à 380 000 tonnes en 2017! Depuis la clôture de la période d’intervention en septembre 2017, du fait de ces énormes stocks, la cotation de la poudre maigre est tombée très en-dessous du prix d’intervention. Malgré une demande internationale assez dynamique en 2017, la Commission n’a presque rien vendu, même à 1200€ /t (1800t à 1190€ /t le 18/01/18). Ces stocks sont d’ores et déjà dégradés en valeur : après 18 mois, voire 2 ans de stockage ils devraient plutôt être utilisés pour l’alimentation animale. Mais, faute de mesure politique de dégagement de ces stocks, ils vont continuer à peser sur les cours européens et mondiaux… Et si Hogan suspend l’intervention ce printemps 2018, c’est une nouvelle catastrophe assurée pour les éleveurs avant l’été !

     

    Cet article est le 413ème paru sur le blog CiViQ - le 136ème en catégorie Agriculture Alimentation

    André Pflimlin, le 15 janvier 2013, à Laval (Mayenne), lors de l'AG 53 de la Confédération paysanne

    André Pflimlin, le 15 janvier 2013, à Laval (Mayenne), lors de l'AG 53 de la Confédération paysanne

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