L'énigmatique baisse des cours du pétrole expliquée par Cécile Chevré

Publié le par Michel Sorin

L’Arabie saoudite veut continuer à être le premier exportateur de la planète

 

L’ampleur de la baisse des cours du pétrole surprend au moment où l’actualité géopolitique est focalisée sur les grands pays producteurs. La lecture de La Quotidienne de la Croissance aide à comprendre. Voici l’article de Cécile Chevré, publié le 14 novembre 2014, intitulé :

 

Rien de bien mystérieux au premier abord au vu des cours du Brent (le pétrole de la mer du Nord) et du WTI (le pétrole américain). Mais c'est leur effondrement depuis l'été dernier qui inquiète et intrigue les médias et les commentateurs. Tous cherchent à expliquer pourquoi le baril de pétrole s'effondre alors que l'actualité géopolitique dans les principales régions productrices est pour le moins agitée.

L'avancée de Daech en Irak et en Syrie a encore plus fait vaciller une région qui se relève difficilement des conséquences de la guerre d'Irak, de la chute de la Kadhafi ou encore des printemps arabes. Et qui n'a toujours pas réglé la question de la Syrie et de l'opposition à Bachar el-Assad... Autre grand producteur : la Russie qui est plongée dans une tempête diplomatique et géopolitique avec l'Occident autour de la question de la Crimée et de l'est de l'Ukraine...

Et malgré tout, le pétrole continue de chuter, encore et encore.

J'étais revenue dans une précédente Quotidienne sur les raisons pouvant expliquer cette chute, en en identifiant 3 principales :

1. La stagnation de la demande mondiale, conséquence de la crise économique européenne mais aussi du ralentissement de la croissance chinoise et de la crise traversée par les principaux pays émergents. Celle-ci devrait atteindre les 91 millions de barils par jour en 2014.

2. L'augmentation de l'offre. Vous pourrez retrouver une explication plus détaillée de cette augmentation ici mais pour résumer, plusieurs pays producteurs ont vu leur production reprendre et augmenter (Libye, Iran, Irak...) ces derniers mois. Et puis il y a la "révolution du non-conventionnel" qui a vu les Etats-Unis faire un retour fracassant parmi les principaux producteurs de pétrole et de gaz de la planète. Conclusion, la production devrait atteindre les 92 millions de barils par jour cette année.

3. La décision de l'Arabie saoudite de casser les prix du pétrole qu'elle exporte.

Trois facteurs d'explication et, selon l'analyste ou le média, une prédilection portée à l'un ou l'autre. Les déclinistes insisteront sur la baisse de la demande y lisant un prochain grand effondrement mondial ou un krach boursier imminent. Les fanatiques des hydrocarbures de schiste interprètent cette baisse comme la démonstration de l'autonomie énergétique retrouvée des Etats-Unis. Les complotistes ou les amateurs d'ententes parmi les puissants privilégieront la troisième hypothèse.

Celle-ci a d'ailleurs gagné du terrain ces derniers jours. Certains accusent en effet l'Arabie saoudite d'entente avec les Etats-Unis pour frapper le talon d'Achille de la Russie : son pétrole. La plupart des analystes sont en effet d'accord sur un point : pour s'en sortir économiquement – je ne parle pas ici uniquement du coût de production du pétrole –, et respecter son budget 2015, la Russie a besoin d'un baril à 110 $ au bas mot. C'est sur cette base que repose son budget et ses projections de croissance.

Je ne sais pas si cette entente a vraiment eu lieu mais ce qui me paraît assez évident, c'est que l'Arabie saoudite tente de supplanter la concurrence montante. En septembre dernier, le Royaume avait ainsi décidé de baisser le prix du baril exporté vers l'Asie – et tout particulièrement vers la Chine. Une décision qu'il est difficile de ne pas mettre en rapport avec le gigantesque contrat gazier signé entre la Russie et l'empire du Milieu, et surtout avec la mise en service du pipeline Sibérie orientale - Océan Pacifique, dit aussi ESPO. Ce pipeline permet d'alimenter la Chine en pétrole russe (extrait de Sibérie), pétrole de meilleure qualité (car moins soufré) et moins cher que celui produit par l'Arabie saoudite. Vous comprenez donc pourquoi le Royaume a accordé une ristourne aux Chinois sur le prix de leur pétrole... La concurrence fait rage !

Mais de là à y voir une décision conjointe de l'Arabie saoudite et des Etats-Unis pour couler la Russie... La décision de l'Arabie saoudite de ne pas réduire sa production me semble être une manoeuvre générale destinée à prendre le dessus sur tous ces concurrents qu'ils soient russes, américains – n'oublions pas que, comme je vous l'avais expliqué, une baisse prolongée des cours du pétrole risque de déstabiliser profondément l'industrie du pétrole de schiste américaine – ou même au sein de l'OPEP. L'Arabie saoudite veut continuer à être le premier exportateur de la planète, et ne tient pas à se faire ravir sa couronne.

Cette baisse des cours peut-elle se prolonger ? C'est ce que nous verrons dans un prochain article.

 Cet article est le 217ème paru sur le blog CiViQ et le 21ème, catégorie Monde

Publié dans Monde

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article