Sécurité sociale 2016 : création d'une Protection Universelle Maladie

Publié le par Michel Sorin

 

Ce qui va changer, par Philippe Frémeaux (Alternatives Economiques)

 

« Pour comprendre l’enjeu, il nous faut revenir 70 ans en arrière. Lors de l’instauration de la Sécurité sociale, à la Libération, l’assurance-maladie a été mise en œuvre selon une logique dite bismarckienne et non beveridgienne*. Concrètement, les droits étaient liés au travail, et non à la qualité de citoyen. Le financement était en conséquence assuré par des cotisations sociales assises sur les salaires et non par l’impôt ».

* Voir Vie publique, 14 avril 2014 : Systèmes bismarckien et beveridgien
Dans Alternatives Economiques, 21 décembre 2015, PHILIPPE FRÉMEAUX explique ce qui va changer concrètement. Résumé :

- Les droits seront désormais davantage attachés à la personne

 

- L’assurance-maladie est devenue l’expression d’un droit à la santé accordé à tout citoyen

 

- Le système français est en pratique devenu largement beveridgien

 

- Ce progrès peut masquer un recul si la part des dépenses prises en charge par l’assurance-maladie de base recule

 

La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2016 crée l’instauration d’une Protection universelle maladie (PUMA) dont il est affirmé qu’elle a pour objectif de simplifier les démarches des assurés et notamment leur capacité à faire valoir leurs droits à remboursement, même en cas de changement de situation professionnelle ou personnelle. 

En pratique, l’architecture du système de prise en charge des soins n’est pas fondamentalement modifiée : la grande majorité des personnes travaillant ou résidant en France vont demeurer assurées par leur caisse de sécurité sociale, la Couverture médicale universelle prenant en charge les personnes hors champ.

 

Transformation logique

Ce qui va changer, en revanche, c’est que les droits seront désormais davantage attachés à la personne et moins à la famille, ce qui devrait faciliter la continuité de la prise en charge. Une transformation qui s’inscrit dans la logique de l’évolution de l’assurance-maladie observée depuis maintenant plusieurs décennies.

Pour comprendre l’enjeu, il nous faut revenir 70 ans en arrière. Lors de l’instauration de la Sécurité sociale, à la Libération, l’assurance-maladie a été mise en œuvre selon une logique dite bismarckienne et non beveridgienne. Concrètement, les droits étaient liés au travail, et non à la qualité de citoyen. Le financement était en conséquence assuré par des cotisations sociales assises sur les salaires et non par l’impôt. 

Ce choix faisait sens dans la mesure où l’assurance-maladie, à l’époque, avait pour principal objet de permettre aux salariés empêchés de travailler du fait de leur état de santé, de percevoir un revenu de remplacement (les indemnités journalières). De fait, en 1945, les dépenses de soins et de médicaments pesaient très peu : les neuf dixièmes des dépenses étaient alors constituées par les indemnités journalières. C’est pourquoi les retraités étaient exemptés de cotisations : ils touchaient leur pension qu’ils soient bien portants ou malades et coûtaient donc peu à l’assurance-maladie…

 

Droit à la santé pour tout citoyen

Au fil des années, le champ des bénéficiaires de l’assurance-maladie s’est progressivement étendu. Dans un contexte où les taux d’activité féminins étaient moins élevés qu’aujourd’hui, l’épouse non salariée et les enfants ont pu se « raccrocher » aux droits de père de famille salarié (c’est la notion d’« ayant droit »).

Par la suite, le bénéfice de l’assurance-maladie a été étendu aux non-salariés – agriculteurs, travailleurs indépendants – afin de couvrir progressivement la quasi-totalité de la population. Parallèlement, les dépenses de biens et service médicaux – soins et médicaments – se sont progressivement accrues, au point de représenter désormais la très grande majorité des dépenses de l’assurance-maladie.

Ces deux évolutions – généralisation et montée des soins – ont changé la nature du système. L’assurance-maladie n’est plus depuis longtemps un système assurant le travailleur, mais l’expression d’un droit à la santé accordé à tout citoyen et qui lui permet de vivre dignement, au même titre que le droit à l’éducation… 

Logiquement, le mode de financement s’est transformé parallèlement, avec l’instauration de la Contribution sociale généralisée en 1991 (CSG), un impôt affecté assis sur l’ensemble des revenus : salaires, pensions de retraite, revenus du capital… Le taux de la CSG a été progressivement relevé et celle-ci représente désormais la première source de financement de l’assurance-maladie.

 

De Bismarck à Beveridge

Parallèlement, la création de la CMU, en 1999, est venue assurer une universalité effective du droit à la santé. Un droit dont l’effectivité n’est pas toujours assurée pleinement : on sait les problèmes d’accès aux soins rencontrés par les plus pauvres, ou les difficultés observées sur certains territoires. Mais, sur le plan des principes, le système français, s’il conserve certaines caractéristiques héritées du modèle bismarckien originel – la place des cotisations sociales, l’ouverture des droits liée au statut professionnel pour la majorité des personnes –, est en pratique devenu largement beveridgien, puisque tout résident en France peut revendiquer un droit à l’assurance-maladie et que celle-ci est en grande partie financée par l’impôt.

Il est donc assez logique que la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2016 prenne acte de cette évolution en renforçant les droits dans un sens plus individuel et moins familial, comme le prévoit la PUMA. Une transformation qui, logiquement, devrait également toucher l’impôt sur le revenu et faciliterait sa fusion avec la CSG… Rappelons ici que l’institution de la loi de financement de la Sécurité sociale elle-même, suite au plan Juppé de 1995, s’était inscrite dans cette perspective en affirmant que ce n’était pas aux partenaires sociaux de décider de l’évolution des dépenses mais au Parlement, puisque cela concernait l’ensemble des personnes travaillant ou résidant sur le territoire de la nation et qu’elles étaient en grande partie financées par l’impôt. 

On se satisferait pleinement de cette évolution si elle ne s’inscrivait pas dans un contexte qui voit la généralisation du droit à l’assurance-maladie s’effectuer en quelque sorte en trompe l’œil. En parallèle, dans la foulée de l’Accord national interprofessionnel (ANI) généralisant l’accès à une complémentaire santé pour tous les salariés à compter du 1er janvier 2016, la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2016 prévoit des dispositions facilitant l’accès à une complémentaire pour les retraités qui vient compléter les dispositifs CMU-C, qui permettent d’assurer une prise en charge élargie aux moins aisés. De quoi aller progressivement vers une généralisation des complémentaires santé.

 

Fiscalisation croissante de l'assurance-maladie

Un progrès qui peut masquer un recul si, demain, la part des dépenses prises en charge par l’assurance-maladie de base, celle que financent cotisations sociales et CSG, recule au profit des complémentaires. En effet, le financement par l’impôt est corrélé au revenu, alors que celui des complémentaires santé – mutuelles, instituts de prévoyance, assurances privées – est dans l’ensemble corrélé au risque.

Dans le premier cas, le financement est très redistributif puisque chacun paye selon son revenu et reçoit selon son besoin. Dans le second, il ne l’est pas et aggrave les inégalités dans la mesure où les bas salaires – sauf disposition assistantielle particulière – doivent consacrer à la mutuelle une part mécaniquement plus importante de leurs revenus. Ajoutons à cela que le tiers payant généralisé rendrait cette évolution sinon indolore, tout au moins, invisible pour la grande majorité des assurés. 

Cette crainte peut d’autant plus être formulée que la fiscalisation croissante du financement de l’assurance-maladie – CSG, compensation par l’impôt des exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires – accroît le pouvoir de Bercy dans la gestion de la Sécurité sociale au détriment des ministères sociaux et des partenaires sociaux. Or, on peut redouter de voir Bercy préférer faire des économies plutôt que d’assurer un haut niveau de socialisation des dépenses sociales et de mener les réformes nécessaires afin d’assurer une qualité de soins élevée à tous et en tout lieu…

 

Voir aussi (Alternatives économiques) L’assurance maladie au régime sec

Et une autre analyse (blog Réseau CiViQ, 2 novembre 2015) : Place au débat avec Résistance sociale sur la sécurité sociale

 

Cet article est le 331ème paru sur le blog CiViQ et le 50ème, catégorie France

Publié dans France

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
P
C'est la CMU de base qui disparaît, de son côté la CMU Complémentaire continue d'exister. Merci
Répondre